27 août 2022 : 25 mi / 40 km - D+ 2000m / D- 2000m - Total : 2559 miles / 4085 km
Les jours avancent et ne se ressemblent pas.
Hier de beaux et grands espaces en montagne.
Aujourd’hui, malgré un démarrage dans une mono trace verdoyante à flanc de montagne et sous un soleil rassurant, je suis assez vite de retour dans la forêt pour une journée un peu galère. Une de ces journées où s’enchaînent quelques mésaventures et où il faut s’employer pour avancer. Une de ces journées qui font dire que le chemin n’est pas toujours une avancée tranquille et un spectacle grandiose.
D’abord, mes chaussures. La droite s’est éventrée et après avoir mis mes talents de couturier à l’œuvre en doublant d’une bande adhésive dont je me sers habituellement pour me straper si besoin, ça n’a duré que l’instant d’un jour et je suis préoccupé sur la manière dont je vais pouvoir récupérer une autre paire. Aurais-je la même chance qu’en plein cœur du mois de juillet? Est ce que je prends le risque d’aller au bout avec cette paire avec 5 doigts de pied qui dépassent. Il me reste 8 jours environ.
Ensuite c’est mon sac qui commence à montrer des signes de fin d’aventure. Les armatures qui maintiennent habituellement le sac dans le dos commencent à filer à l’anglaise et il m’arrive de les ramasser sur le chemin.
A cela s’ajoutent les difficultés de l’étape du jour.
Le chemin n’est pas facile aujourd’hui. Beaucoup de zones sont peu entretenues. Le bushwacking a repris et je dois, non seulement chercher le chemin mais en plus m’improviser élagueur si je veux progresser.
Il y a également de larges troncs d’arbres qui barrent le chemin à terre et qu’il faut s’ingénier à franchir. C’est marrant comme on peut se trouver face à un constat soudain d’impossibilité tant l’arbre paraît démesurément grand et puis la minute d’après trouver l’astuce ou le petit chemin parallèle qu’un hiker aura inauguré pour contourner l’obstacle.
En parlant de franchissement complexe, il y a aussi une rivière torrentielle qui n’est traversable que par un rondin peu épais. J’évite toujours de franchir les rivières par des rondins. Je ne me sens pas suffisamment à l’aise. Mais là, pas le choix et j’y vais tranquillement mais pas trop pour ne pas avoir d’hésitation. Le dosage entre les deux est mince et savant, trop assuré et rapide, c’est la chute garantie, trop lent et hésitant, et c’est le même plouf !
Et pour couronner le tout, le temps si exceptionnel jusque là, tourne finalement à la brume, comme en fin de journée hier.
A l’image de cette journée un peu brinquebalante, j’arrive à Kennedy creek et tombe sur la traversée d’un pont affaissé et rompu en plein milieu mais qui reste malgré tout, entier. J’attaque ensuite une montée sèche de 600m de D+ qui m’emmène d’abord à Fire Creek où je fais ma pause dej sans vraiment d’appétit ni beaucoup de réserve de nourriture. Il est temps que j’arrive à Stehekin où un colis m’attend.
Je repars assez vite et arrive au col de Fire Creek où après 400m de dénivelé en plus, je profite d’un peu de répit. La journée comporte aussi son lot de dénivelé minimum.
En descendant je tombe sur le très beau lac de Mica que la fraîcheur du temps extérieur fige dans une beauté glacée.
Je poursuis la descente de Fire Creek Pass pour arriver au pont de Milk Creek où quelques hikers se reposent avant d’attaquer la dernière difficulté de la journée : 8 km de montée pour 700m de D+. Je tombe sur un suisse débonnaire et très sympa.
Le début de la montée est vraiment difficile, mais quand on se prépare à la difficulté, finalement c’est moins éprouvant que prévu.
Finalement, j’aurai passé l’essentiel de la journée à contourner le Glacier Peak, pour arriver quasiment à son pied. Je n’en serai jamais aussi proche.
Je retrouve Star en fin de journée au moment d’arriver à un campement en contrebas du chemin. Il n’y a pas beaucoup de places car 3 tentes sont déjà installées.
Start aime, comme moi, finir un peu tard en ce moment. Comme hier soir, elle m’a aidé à trouver une place et que j'ai encore, malgré mes aspects sauvages, quelques restes de galanterie, je lui laisse le meilleur emplacement et me cale en lisière d'arbrisseaux. Elle vient me donner un sticker du PCT. Les américains sont fans des stickers.
Elle l’a fait elle-même en me disant qu’elle les réserve aux hikers sympas et un peu spéciaux. Je suis flatté.
Elle me raconte qu’elle était graphic designer dans la Sillicon Valley, mais qu’elle a souhaité mettre fin à cette course effrénée au temps, aux délais contraints pour repenser sa carrière.
Son expérience fait écho évidement à ce que je vis et à l’état d’esprit dans lequel je suis actuellement. C’est dans cette partie du Washington que je ressens tous les bienfaits de cette aventure, et que j’arrive au paroxysme d’un apaisement que j’étais venu chercher.
Plus j’avance, moins je ressens de contrainte, je prends mon temps, je prends la lenteur au sens positif. Moi qui suis d’un tempérament plutôt sportif avec des réflexes de coureur de trail poursuivant des objectifs, modestes certes mais mesurables, me voilà à faire l’éloge de la lenteur.
Mais celle-ci n’a de sens que si je reste dans le mouvement. Je me souviens de cette phrase de Julien Blanc-Gras dans le très drôle et excellent roman Envoyé un peu spécial : « j’ai trouvé mon équilibre dans le mouvement ». Cette phrase m’avait marqué car elle décrit 2 états qui peuvent paraitre opposés mais qui sont tellement vrais. C’est un peu cela que je ressens dans la marche vagabonde. C’est lent mais c’est une avancée quand même.
C’est dans le vagabondage, la flânerie que j’éprouve le plus de liberté. La marche lente a aussi cet avantage de libérer l’esprit et de féconder l’inspiration. Je me parle très souvent, j’échafaude des grands projets, je dénoue des problèmes. C’est un peu comme certains rêves desquels on sort avec la sensation d’avoir trouvé une idée de génie.
Cela fait partie des choses que j’ai apprises pendant ce PCT.
A l’heure où la fin approche et où viendra le moment où on me demandera ce que j’ai appris de tout ça, je pourrai et peux déjà dire deux ou trois choses. Mais des choses simples me semble t il. Cette aventure n’est pas comme une épiphanie, n’employons pas les grands mots, mais elle a permis de remettre des choses à leur juste place, de rétablir certaines valeurs. La relation au temps et à la lenteur donc en font partie.
Bien sûr la Nature a ce rôle apaisant, mais on pourrait aussi en avoir peur.
Entre autres enseignements, j’ai appris que cette relation à la nature était dénuée de toute crainte. Les gens me demandent souvent quelles sont les plus grandes peurs sur le chemin. Je me rends compte que je reste muet à cette question et que je n’ai pas eu de craintes.
Mieux, j’ai au fur et à mesure pris conscience de ma part à cette nature, je fais partie de cet élément là. Je repense à une phrase de Henry David Thoreau qui disait, au risque de paraître extrême, que l’homme est un habitant de la Nature plutôt qu’un membre de la Société.
C’est dur à expliquer, c’est comme toutes les raisons qu’on se donne d’avoir peur dans la vie en général, c’est presque comme un réflexe.
On dit qu’il faut du courage pour faire ce que je fais, de l’audace. Non, nous sommes de cet élément là. Le monde dans lequel nous vivons me paraît plus dangereux que là où je suis en ce moment.
Je me souviens lorsque nous faisions une partie de Kapla avec mes compagnons de route à Kennedy Meadows, ce jeu qui consiste à essayer à retirer des pièces en bois d’une tour sans la faire tomber et qui la fait pencher jusqu'à céder finalement. J'ai l’impression que comme au Kapla, l'homme a dévié ce monde de sa trajectoire, il a mis notre environnement en péril à essayer de le maintenir tout en lui retirant ce qu’il a de plus essentiel. Si le grand architecte de ce monde se retournait, il nous dirait « mais qu’est-ce que vous avez foutu nom de Dieu ? C’était pas si compliqué que ça ?!».
Les principes de la vie restent finalement assez simples. On boit, on mange, on marche … Les sens sont là pour une raison, éveillons les, émerveillons nous, et apprécions ce que la Nature nous donne d’essentiel.
Cette proximité quotidienne avec la nature m’a appris à mieux connaître le vivant autour, à écouter les chants de la Nature, de la faune et la flore, ses respirations, ses silences, ses oscillations. Cette aventure m’a montré que pour connaître les paysages, les animaux, la végétation, rien n’est plus vrai que de l’éprouver par le corps, de se mettre au rythme de la Nature, en tenant en respect ce qui nous entoure, en restant humble.
Il faut la vivre, la sentir et la ressentir, à cœur, à corps et à esprit ouverts. Je n’ai jamais mis autant à contribution mes 5 sens que lors de cette aventure.
Il faut donc faire corps et ne pas craindre qu’elle nous traverse, il n’y a aucune raison, car au final on apprend qu’on EST cette nature.
On dit souvent qu’on part pour se déconnecter. On devrait plutôt dire qu’on se reconnecte et à l’essentiel.
Voilà les quelques choses que j’ai apprises pendant cette aventure, mais j’en garde un peu pour plus tard et pour l’instant, je profite d’une de mes dernières nuits sur le PCT.
La fin approche.
C'est tellement ça... on ne pars pas pour se perdre, ni pour chercher un graal, du moins ce n'étais pas mon cas également, mais bien pour se reconnecter à la nature et à la simplicité qu'elle nous impose au quotidien. Pour cela il nous faut être ouverts et dispo c'est à dire vivre le moment présent, tel qu'il est, chaud, froid, sec, humide, venté, simple, difficile, roulant, hasardeux, tout en avançant dans un savant mélange en se poussant parfois au cul et en se ménageant un tant soit peu pour arriver au bout, car effectivement pour crapahuter sur 4 270 km dans des dénivelés bien sentis, il faut quand même de la persévérance et de l'opiniâtreté pour les avaler. Mer…
C est bien également de te lire quand les conditions se durcissent sinon nous pourrions penser que le PCT est une simple petite balade de santé😜😂😜