20 juillet 2022 : 26 mi / 42 km - D+ 1000m / D- 1650m - Total : 1790 miles / 2880 km

1ere journée dans l’Oregon… alors est-ce que le fait de changer d’Etat change complètement le paysage ? Pas vraiment pour l’instant mais je reconnais que la forêt me paraît plus verte. Il y a beaucoup de jeunes sapins et pas mal de fleurs de différentes couleurs et de différentes senteurs. J’ai l’impression d’être dans un paysage familier qui me fait penser à la moyenne montagne alpine, le genre de ballades que je pourrais faire en montant à La Croix de Nivolet ou au Revard au dessus de Chambéry, ou encore un paysage de Chartreuse. L’herbe est abondante et cela est un vrai changement par rapport à la Californie aux plantations plus éparses et lacunaires.
Par contre, pas de changement dans le dénivelé, cette première journée oréganienne est dans la continuité du nord de la Californie, on monte et on descend, et on recommence pour une journée qui tutoie les 1000 m de D+.
Alors, bien sûr, ce n’est que la 1ère journée et je ne vais pas aller vite en conclusion mais je sens que la platitude qu’on m’avait annoncé sera à prendre avec modération.



Je passe ma matinée à marcher d’un pas vraiment tranquille en passant d’un versant à l’autre avec toujours autant la même verdure.
Je passe le marqueur des 1700 miles sans, pour une fois, l’avoir cherché. Je suis encore sur le passage de la Californie à l’Oregon.
Je n’en oublie pas pour autant mon rituel de photos et de vidéos. J’ai toujours plein d’idées avant et après pour célébrer chaque 100 miles et quand j’y suis, l’inspiration a disparu et ça a tendance à m’énerver un peu.
Je ne vois quasiment personne ce matin. C’est marrant car depuis 4, 5 jours je croise de nouvelles têtes et comme on dit ici, on « leapfrog » (encore un terme à mettre dans mon lexique de « l’expérimenté pctiste »), c’est à dire qu’on ne cesse de se dépasser et puis finalement de se revoir à des points d’eau ou à des pauses.
Pas de Burrito, de Freebie, de Crime scene, Orion, Tinkerbell, Duck, Skippy, ni de Care Bear ou Dippy (2 sœurs du Washington, qu’on croirait jumelles mais qui ne le sont pas).
J'apprendrai plus tard que ma "tramily" (contraction de "Trail family") m'a dépassé alors que je faisais la sieste pendant midi, ce qui me vaudra une nouvelle photo prise en flagrant délit, une de ces photos que Sweeper, Hide N'Seek et Pirate prennent un malin plaisir à tirer et qui devient une blague récurrente entre nous.

Mon objectif de la journée est d’arriver à Callahan’s lodge, c’est à dire près de la ville d’Ashland. C’est un hôtel qui offre plusieurs services sympas pour des randonneurs en manque de douceurs, de calories et de fraîcheurs : jacuzzi, buffet de pâtes à volonté, et surtout une bonne bière pression bien fraîche.
A la base, je voulais camper avant la ville mais la tentation est trop grande. Imaginez un enfant à qui on tend un nouveau jouet et on lui dit « oh ben non, tu l’auras demain ! ».
Ce complexe est un peu cher, aussi je me contenterai du raisonnable : la bière bien fraîche et un repas complet. Pour la nuit, on peut camper sur la pelouse de l’hôtel. Ça m’ira très bien.
Mis à part cet objectif rafraîchissant, plusieurs petits éléments vont me faire accélérer le pas d’un coup à partir du début d’après-midi, et ceci malgré une chaleur caniculaire.
En haut de là dernière montée avant de rejoindre la vallée, un trail angel a laissé deux glacières remplies de canettes de soda. Encore une fois c’est dans l’inattendu que les plus grands plaisirs se trouvent. Ces sodas donnent l’impression d’être les meilleurs jamais bus ! J’ai l’impression d’être Louis de Funès dans l’avare quand il fait mélanger l’or par Yves Montant… non pas pour le côté avare mais pour l’or. Ces canettes sont comme de l’or précieux et je pioche allègrement dans ces 2 glacières.
Autre élément qui me fait accélérer : une vidéo de Flo qui est rentré à Paris et qui me rappelle la chance que j’ai d’être encore là.
Notre routine de randonneur a tendance à nous faire oublier la chance d’être entouré de choses aussi belles et la chance d’être libre en pleine nature.
Dernier facteur de motivation, une photo qu’une de mes filles m’a envoyé aujourd’hui et qui rappelle un bon souvenir de vacances.
Voilà, tout ça avec comme décor le Mont Shasta qui est toujours là depuis 2 semaines, et la verdure des monts qui me rappelle les Alpes.
En cet après-midi du 20 juillet, les kilomètres s’avalent tout seul, le dénivelé n’a plus d’importance, le soleil ne tape plus en pleine face. J’avance, la tête projetée vers l’avant, j’anticipe les courbes du chemin, à une allure qui ne cesse de croître.
Après un dernier arrêt provoqué par la chance de tomber sur de nouveaux trail Angels (des hikers du PCT qui ont arrêté), je reprends mon rythme, façon marche athlétique, et je me permets même de dépasser Sweeper, qui est habituellement plus rapide que moi et que je ne vois quasiment jamais de la journée.


Je me sens bien et j’arrive à tenir ce rythme pendant les 13 km qui me restent avant Callahan’s lodge.
Je réserve comme prévu mon emplacement de tente, qui se trouve en face de l’hôtel sur une petite pelouse avec une petite chute d’eau et comme prévu, je me désaltère avec une pinte d’ambrée bien fraîche et un plat de pâtes au bœuf strogonof et aux champignons à la crème et au basilic. Fameux !!


Enfin, une anecdote et une mauvaise nouvelle en cette 91e journée :
L’anecdote d’abord : un arbre s’écroule près du panneau qui marque la frontière. J’avais appris à être prudent surtout dans les zones de forêts brûlées où la règle d’or est de ne jamais dormir sous un arbre, mais je n’en avais jamais vu tomber. C’est la première fois que ça arrive et le bruit est assourdissant et effrayant. Je suis accompagné de « Blue », un hiker très rapide, et nous ne traînons pas.
La mauvaise nouvelle : Mad Ermit abandonne le PCT. J’avais pris de ces nouvelles il y a 2 jours. Tout allait bien et ce matin, je reçois un texto : « j’arrête le PCT, épaule douloureuse et trop de poids perdu ».
Cette histoire de poids est ma plus grande inquiétude je pense par rapport aux risques d’abandon. Quand est ce qu’on arrive au point critique de non retour ou du moins, du « trop tard » pour pouvoir continuer ? Mad Ermit est la preuve qu’on peut abandonner pour ça. Cela m’invite à davantage de vigilance, moi qui en ai déjà perdu pas mal.

Comments