27 juillet 2022 : 27 mi / 43 km - D+ 1100m / D- 900m - Total : 1943 miles / 3126 km

Les jours passent et ne se ressemblent pas. Hier fut une journée incroyable en émotion, en rencontres et en paysages.
Aujourd’hui je redémarre d’un pas lourd, fatigué.
Comme dans le Nord de la Californie, je vais devoir traverser une longue étendue sans eau et il ne faudra pas rater la rivière près du Mont Thielsen en milieu de matinée qui ensuite me laissera 30km sans eau et encore, je devrai une nouvelle fois mon salut à cet ange gardien du trail qu’est Devilfish.
Tel le justicier masqué, qui signe d’un D comme Devilfish, il va arriver, sans s’presser, le grand Devilfish non pas avec son cheval mais avec sa Jeep Renegade et son grand chapeau… et accessoirement sa 50aine de bonbonnes d’eau. Mieux vaut avoir un gros pick-up, c’est évident.

Moi aussi, j’avance sans me presser aujourd’hui, un peu fatigué donc.
Pourtant, je ne peux pas parler de lassitude. Même si, comme j’ai déjà évoqué, on ne voit pas des paysages de dingue à chaque instant, chaque jour est une fête, un jubilé qui ne cesse de raisonner d’enthousiasme serein, sans trace d’usure, d’écœurante lassitude.
Tout se positive et se réjouit. Et parfois, ce sont des petits bonheurs simples qui font qu’il y a, dans une journée d’apparence sans aspérités, toujours quelque chose à retirer :
Après avoir rejoint Pirate, nous tombons sur un randonneur matinal qui nous arrête au pied du Mont Thielsen qu’il a grimpé aux aurores.
Il nous donne quelques bonbons et quelques petites bouteilles d’eau glacée qu’il est impossible de refuser, même s’il faudra s’encombrer du plastique encore plus superflu qu’il ne l’est déjà en raison du poids du sac sur lequel je peste suffisamment.
Si je devais donner ma définition du luxe, ce sera celle-ci : un peu d’eau fraîche après l’effort et une soif extrême plutôt que de l’eau facilement accessible et en quantité dans un hypermarché … une rencontre fortuite au détour d’un chemin plutôt que 1000 convives réunis en un lieu.

Quasiment au même endroit, Sweeper qui nous a rejoint à son tour, sort un sachet de Myrtilles fraîches que sa tante et son oncle lui ont donné hier soir et qu’il a gardé pour moi comme je n’ai pas réussi à les retrouver à temps.
Elles viennent directement de leur jardin. C’est très sympa, je ne m’attendais pas à ce qu’il m’ait gardé ces myrtilles.
Quand je pense qu’ils ont fait 4 heures de voiture hier pour venir passer à peine 2 h avec leur neveu et sa joyeuse bande d’amis marcheurs. C’est fou le rapport qu’ont les américains à la distance.


A la pause de 10h, j’arrive à la fameuse rivière de Thielsen creek d’où il faut prendre toute l’eau pour la journée jusqu’à demain matin. Comme d’habitude aux endroits un peu stratégiques pour l’eau, on retrouve plusieurs groupes de randonneurs qui prennent leur temps pour s’abreuver et qui en profitent aussi pour laver quelques affaires comme les chaussettes ou un t-shirt.
Je prends mon temps également et je sors mon paquet de chamallows qui a commencé à fondre sous le soleil. Je les trempe allègrement et sans aucun scrupule dans mon pot de Peanut Butter. Ce sera toujours ça de poids en moins.
A midi, je passe le point culminant de l’Oregon sur le PCT, à 2308m. C’est l’occasion d’évacuer les « on-dits » sur la platitude de l’Oregon. Même si l’on n’atteint pas une altitude de fou et que ce point culminant ne représente aucune difficulté, il vient après une belle montée.
Je tombe sur un couple de canadiens que je n’arrête pas de « leapfroguer » (croiser) aujourd’hui.
C’est un couple qui devait faire le PCT du Nord au Sud mais qui, en raison de la neige tardive dans le Washington, a dû s’en remettre à une autre stratégie. Ils ont démarré finalement du milieu de la Californie pour aller dans le sens du nord et ils reviendront plus tard pour faire le Sud de la Californie. Ils me parlent de la fameuse traversée du Canada, le Great Divide Trail, un autre projet qui vient nourrir tous les autres dont j’ai entendu parler depuis mon départ.
Je retrouve Pirate pour passer le cap des 3000 kms. Comme pour les 1000 et les 2000 kms, j’aime retrouver quelques européens pour qui les kilomètres signifient quelque chose et à chacun de ces passages, j’étais avec Pirate. Je me rends compte que cela fait 3 mois que Pirate, Sweeper, Hide N’Seek et moi marchons ensemble sans vraiment marcher ensemble. C’est la première fois que je marche aussi longtemps avec des gens. En même temps, même tout seul, je n’ai jamais marché autant.
La clé du bon fonctionnement de notre groupe est que nous ne marchons pas ensemble justement. Nous n’aurions jamais tenu autrement. Et en même temps, leur présence à juste distance a quelque chose de motivant et permet d’échanger sur de bonnes décisions à prendre. A l’heure des premiers incendies, je me rendrai compte dans quelques jours à quel point nos échanges et nos décisions ont eu un impact sur notre avancée sur le PCT…
Parfois, nous sommes plusieurs jours sans nous voir mais avons toujours plaisir à nous retrouver.
Ce que j’aime chez Pirate est que sous ses airs très assurés, il a une vraie sensibilité. Il ne vous demandera jamais quinze fois si ça va, mais s’en assurera par une parole ménagée ou un geste simple.
Je me souviens de la préoccupation commune que nous avions eue dans les Sierras à retrouver Mad Ermit et à l’inclure dans notre petit cercle.
C’est marrant car au début on l’appelait « a man of few words». Taiseux, il est devenu quasiment le plus bavard du groupe. Il nous fait rire avec ses expressions récurrentes du style « oh well », « God damn it », ou « we have plenty of time », même si en réalité, il ne perd pas son temps. Quand je lui renvoie parfois cette expression lorsque je propose de passer plus de temps dans un endroit alors qu’il veut se dépêcher… eh bien, il me répond « oh well…you know… »… et je comprends que ce sont à ces moments que je vais le laisser avancer avec le reste du groupe.
Les rares fois où nous avons marché quelques kilomètres ensemble, nous avons abordé des sujets sur lesquels nous avions souvent le même avis, comme le COVID. Il parle plus souvent de son village en Slovaquie et de sa famille, alors qu’au début, nous n’évoquions jamais ces sujets-là.
Nous partageons aussi la même spontanéité quant arrive le moment de faire un détour pour aller piquer une tête dans un lac.

Nous fêtons donc rapidement le passage des 3000 km et je le laisse partir devant moi.
La chaleur moite du jour ajoutée au poids de mon sac à cause du ravitaillement d’hier et du chargement d’eau me contraignent à une allure tranquille.
Pourtant je retrouve Pirate au campement du soir qui contient justement 2 emplacements au sommet d’une butte.
La promesse d’un joli lever de soleil demain matin et la satisfaction d’avoir cahin-caha parcouru 43 km aujourd’hui me rendent heureux en cette fin de journée.
Je partage 2 plats de Ramen avec Pirate + quelques moustiques qui commencent, à leur habitude, à s’agglutiner dès que nous nous posons.
Sweeper et Hide N’ Seek ont réussi à aller jusque Windigo Pass, 6 km plus bas, qui est le lieu où Devilfish a laissé ses bonbonnes d’eau.

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